La mondialisation de l’alimentation : comment s’adapter

Le monde connaît, depuis le milieu de xxe siècle, une transformation d’une rapidité inégalée depuis la naissance de l’homme voire de la terre. Les variations climatiques, le déclin démographique dans certaines régions ou la progression dans d’autres, les évolutions technologiques et maintenant la croissance chinoise ont bouleversé en cinquante ans notre manière de s’alimenter.

Contradictions et paradoxes

Nous, citoyens, sommes désireux de préserver les richesses de la planète. La lutte contre la déforestation fait partie aujourd’hui des programmes des Nations unies. L’être humain souhaite réparer les dégâts qu’il engendre en replantant des zones forestières endommagées. Mais là, des écarts de culture se font jour. Le paysan des Philippines ou celui du Brésil ne comprend pas la répression dont il est l’objet : on tente de l’empêcher de développer ses cultures et de grignoter la forêt ce qui, pour lui, est une question de survie.

Nous constatons tous les jours l’appauvrissement des milieux marins et les autorités qui nous gouvernent émettent des quotas qui déchaînent la révolte des pêcheurs. Pourtant ces mêmes pêcheurs devraient être les premiers concernés par la régulation des espèces qu’ils rapportent.

Nous pourrions également parler de la pénurie de l’eau ou de la fonte des glaces polaires : ces deux phénomènes ont sur les populations des conséquences alimentaires importantes, notamment lorsqu’ils engendrent des migrations.

Les citoyens cherchent honnêtement des solutions, mais se heurtent aux consommateurs que nous sommes, réfractaires aux changements que ces solutions nécessitent, et résistants aux renoncements qu’elles imposent.

Nous avons donc un comportement schizophrénique ; d’un côté nous voulons les avantages économiques que nous apporte la mondialisation et de l’autre nous n’en acceptons ni les conséquences sociales parfois très difficiles à vivre ni le changement d’attitude qui devrait en découler.

Dans le contexte de la nourriture, cette contradiction se traduit de la manière suivante : nous consacrons de moins en moins d’argent à notre alimentation (13 % du budget total pour l’alimentation au domicile contre 28,6 % en 1960) alors que nous dépensons de plus en plus dans les biens technologiques : téléphone, télévision, jeux vidéo pour enfants et adultes… Pourtant, nous voulons manger de mieux en mieux. Quels dysfonctionnements cela engendre-t-il ? Eh bien, nous cherchons dans les supermarchés ou les hard discount des aliments de moins en moins chers, alors que nous devrions nous attacher à rechercher la qualité nutritionnelle des aliments, ce qui obligerait parfois à mettre davantage la main au porte-monnaie.

Nous sommes passés d’aliments bruts – céréales, beurre, œufs – à une alimentation transformée constituée de plats préparés, de confiseries très élaborées, de préparations comprenant des dizaines d’ingrédients nouveaux pour nos organismes (dérivés du soja, maïs transformés et résistants à la chaleur, colorants et substances anti-oxydantes en grande quantité…). Mais, dans bien des cas, ne serait-ce pas mieux de préparer à la maison des plats nutritionnellement adaptés à notre vie et à notre culture quitte à employer, si nécessaire et pour aller plus vite, des aides culinaires (concentré de tomate, sauces…) ?

Les influences culinaires

Au gré de voyages rendus plus aisés et de migrations importantes de population, nous découvrons, souvent pour notre plus grand plaisir, des spécialités culinaires, des mets et des préparations venus de loin. Ils sont peu à peu entrés dans nos habitudes, créant même parfois une demande pressante. Prenons les sushis. Mélange de poissons crus et de riz, le sushi représente une certaine régression pour notre culture. Alors que, pour notre plus grand confort sanitaire et digestif, nous cuisions nos aliments, nous voilà revenus au cru, avec les risques de parasites que cela comporte. Oui, mais les sushis, c’est aussi du cuit, puisque le morceau de poisson repose sur du riz. Les sushis sont un bon exemple d’intégration nutritionnellement réussie. Du point de vue nutritionnel, les sushis sont des plats intéressants à plusieurs titres : grâce à l’apport de protéines, grâce à la sensation de rassasiement, grâce aux acides gras oméga 3, excellents pour la santé. Voici donc un excellent plat principal accompagné souvent dans les restaurants de choux et d’une soupe Miso toutefois très salés. Il manque un fruit pour compléter ce repas mais ce n’est pas compliqué de remédier à ça. Contre-exemple en revanche, l’alimentation chinoise dont le principal défaut est la teneur en graisses. À part le rouleau de printemps et certaines vapeurs, la nourriture des restaurants et traiteurs chinois est particulièrement riche.

Le repas dans la rue (que les Anglo-Saxons nomment street food), autre phénomène arrivé en France et en Europe, est devenu beaucoup plus important, les populations urbaines préfèrant, à l’heure du déjeuner, une restauration rapide. On y retrouve une variété extraordinaire des cuisines du monde. Comment se repérer d’un point de vue nutritionnel dans cette jungle de produits nouveaux ? Nous le verrons dans un chapitre spécifique.

Influences économiques

Autre exemple des conséquences nutritionnelles de la mondialisation : la galette de maïs mexicaine. Le Mexique n’est pas autosuffisant dans la production de cet aliment de base du peuple mexicain depuis des milliers d’années, et importe des États-Unis du maïs grâce à un traité de libre-échange signé entre les deux pays. Conséquence : le maïs américain est moins cher que le mexicain. Mais voilà que, depuis peu, les agriculteurs américains se sont mis en plus à cultiver des céréales à destination du bioéthanol. Plus de céréales, moins de maïs : le cours du maïs grimpe, déstabilisant les prix. La consommation annuelle de tortilla, aliment « fondamental » du Mexique, baisse, modifiant les repères nutritionnels des habitants. Parallèlement la consommation de boissons sucrées et gazeuses, les refrescos, venues des États-Unis, augmente de manière importante. En corollaire, on constate un accroissement de la fréquence du diabète et de l’obésité. Ces transferts de consommation ne sont pas, bien entendu, les seules raisons de l’augmentation de ces maladies, puisqu’il existe une prédisposition de la population locale pour le diabète. Mais la désorganisation d’une consommation alimentaire ancestrale s’avère fort préjudiciable dans ce cas.

Alors comment s’adapter à cette nouvelle alimentation ? Il faut comprendre la façon dont le monde change afin, ensuite, de trouver la voie difficile de l’équilibre alimentaire.

Influence démographique

La population mondiale ne cesse de croître. En quarante ans, nous avons doublé notre population planétaire pour atteindre aujourd’hui plus de six milliards d’individus. En 2050, nous serons même proches des dix milliards. Cette croissance est et sera inégale d’un pays à l’autre. Les pays riches s’orientent vers une décroissance de leur population, contrairement aux pays pauvres. Les conséquences économiques et industrielles en seront très importantes, entraînant un flux migratoire jamais connu dans l’histoire, avec des conséquences importantes sur l’offre alimentaire.

Et ce avec des implications nutritionnelles nombreuses. Prenons l’exemple qui nous concerne le plus en France : le vieillissement de la population. Le développement des services à domicile, notamment en proposant des plateaux-repas nutritionnellement adaptés, va devenir une nécessité vitale. Un apport plus conséquent en vitamine D, en calcium et en acide gras oméga 3, comme le DHA (acide gras dérivant de l’acide alpha-linolénique que l’on trouve dans l’huile de colza ou de noix par exemple), devient en effet nécessaire à un certain âge si l’on veut se lancer dans une lutte contre les maladies dégénératives. La personne âgée doit également consommer la même quantité de protéines que l’adulte, pour limiter la fonte musculaire. D’où de nombreuses évolutions incontournables.

Influence de l’organisation du travail et de la cité

En moyenne, les Français consacrent environ deux heures par jour aux repas. 68 % déjeunent chez eux en semaine mais de très nombreuses personnes, surtout dans les villes, sont obligées de manger dans la rue ou dans un restaurant d’entreprise. D’où le développement de la restauration rapide peu chère, dont la qualité nutritionnelle est très variable. On y trouve le meilleur comme le pire. Alterner des lieux différents diminue le risque de carences nutritionnelles. Relativisons tout de même les conséquences de cette alimentation, qui ne constitue que 5 des 14 repas principaux de la semaine.

La mondialisation de l’alimentation et la famille

La famille étant traversée par tous les courants que nous venons d’évoquer, quelles en sont les conséquences ?

Sur le plan du comportement alimentaire, les repas festifs en famille existent toujours, mais ils sont peu nombreux puisque 19 % des personnes interrogées n’y participent qu’une fois par semaine. La plupart des repas de la semaine sont rapidement expédiés. Mais surtout les repas sont simplifiés : un tiers sont constitués d’un plat et d’un dessert, 15 % d’une entrée et d’un dessert, 11 % d’un plat unique. Résultat, 74 % des repas ont une structure simplifiée. Le risque de générer des carences en certains nutriments est donc réel. Je pense particulièrement aux protéines. Il y a trente ans, les patients qui nous consultaient mangeaient trop par rapport à leur dépense énergétique. Aujourd’hui une bonne partie des patients que nous voyons pour des problèmes de surpoids ou des conseils alimentaires se restreignent volontairement depuis des années. Les raisons sont surtout sociales, l’obsession de la bonne santé poussant certains à s’alimenter anormalement. Comme le notent les sociologues, l’alimentation remplit des fonctions nutritionnelles, hédonistes et symboliques pour atteindre un certain équilibre. Cet équilibre peut être facilement rompu et déclencher l’apparition de troubles du comportement alimentaire.

Autre conséquence de la mondialisation : le développement des angoisses liées à l’alimentation. Nous absorbons les peurs qui viennent non seulement de notre proche environnement mais également de tout ce qui survient dans le monde. Ces craintes déboussolent le consommateur dans ses choix. Il ne sait plus quels sont les aliments qu’il doit consommer pour rester en bonne santé. D’où la nécessité de l’informer sur leur nature et leur composition.

Le célibat et l’alimentation

Comment se nourrir quand on est célibataire et en quoi la mondialisation de l’alimentation a-t-elle une répercussion sur le comportement alimentaire de ces hommes et femmes ?

Il y a 7,4 millions de personnes vivant seules en France, soit une personne sur 8, et le nombre de célibataires a doublé en trente ans. Les femmes sont plus nombreuses, 4,4 millions contre 3 millions d’hommes. Plus de la moitié des personnes seules a plus de 60 ans. L’alimentation de ces célibataires est souvent composée de plats industriels préparés et de repas qui se prennent vite : un plat principal et un dessert ou un yaourt. Ce qui constitue un apport nutritionnel insuffisant pour satisfaire aux besoins de notre organisme. Et puis il y a les courses ! Une corvée que l’on contourne grâce à Internet sans savoir exactement ce que l’on achète… La préoccupation du célibataire est de perdre le moins de temps possible au supermarché. Comme si cet acte nécessaire à notre bien-être, à la santé et au plaisir, était tout à fait secondaire dans sa vie. Alors que, justement, qui mieux que le célibataire peut s’occuper de lui-même ? Personne ! Attention donc aux célibataires mâles, ils courent un vrai danger nutritionnel.

La famille recomposée et le melting-pot des goûts alimentaires.

La famille recomposée, c’est l’alliance de goûts d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont un passé alimentaire et gustatif. Ils reconstruisent une nouvelle famille des « sens » en mélangeant leurs expériences et en désirant trouver ou faire découvrir des saveurs inédites, qui seront celles d’une nouvelle vie.

Les nutriments et les aliments de demain

Les nutriments de demain sont ceux dont les propriétés physiologiques ou médicales restent à découvrir et qui viendront enrichir notre alimentation. Prenons l’exemple des oméga 3 que nous ne connaissions pas il y a une vingtaine d’années et aujourd’hui prisés de tous les magazines. Non seulement cette découverte fait le bonheur des sociétés de compléments alimentaires, mais les aliments qui en contiennent, comme les huiles ou les poissons gras, sont désormais à la mode.

Pour les aliments de demain, la tendance sera de revenir au naturel et au brut. L’industrie alimentaire ne s’y trompe déjà pas : les céréales du petit déjeuner sont surtout des céréales complètes, les pains aux mêmes céréales complètes se développent, on recherche des poulets qui ont gambadé dans les fermes plutôt que ceux élevés en batterie. L’industrie diminue aussi la quantité de ses additifs pour rendre le produit plus proche de sa composition initiale. On crée des soupes 100 % naturelles. On gomme en outre les traces des machines pour revenir à une image de fermières touillant le bon lait dans une marmite en cuivre afin d’en extraire un produit plus proche de ce que nous imaginons être le bien-être.

La santé par l’alimentation, un rêve ou une réalité ? Devant l’allongement de la durée de vie et la multiplication « naturelle » des pathologies dégénératives (diabète, maladies cardio et cérébrovasculaires, cancer, dégénérescence maculaire…), il y a nécessité de développer la prophylaxie nutritionnelle de ces maladies. Une nécessité médicale, humaine mais aussi économique. Le traitement coûte infiniment plus cher que la prévention et de nombreuses études épidémiologiques ont montré les bienfaits d’une nutrition préventive.

Conclusion

On le constate : tout bouge autour de nous. Les informations nutritionnelles que nous recevons sont nombreuses et parfois contradictoires. La mondialisation multiplie les possibilités et les tentations. Et le sentiment de culpabilité ressenti à ne pouvoir suivre les consignes nutritionnelles que l’on nous délivre aggrave chaque jour notre malaise. Certes, nos besoins physiologiques ont peu changé depuis des millénaires, mais à présent nous vivons plus longtemps, et il faut apprendre à bien traiter notre corps pour mettre toutes les chances de bien vieillir de notre côté.

Cet apprentissage est d’autant plus difficile que personne ne détient la vérité absolue, ni les scientifiques ni les politiques. Nous ne sommes plus à l’époque de la Révolution française, quand les savants, loin de déserter la République naissante, avaient retroussé leurs manches et étaient allés de découverte en découverte, faisant bénéficier la population de leurs recherches.

À nous, aujourd’hui, d’entamer notre propre révolution, de trouver individuellement notre équilibre en piochant de-ci de-là les informations utiles à notre quotidien nutritionnel.

Patrick Sérog

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